Glaçant, des marchés d’esclaves trouvés sur Instagram et d’autres applications (vidéo)
Les journalistes de BBC News Arabic ont révélé l’existence d’un marché d’esclaves au Koweït. Des travailleuses domestiques sont vendues comme marchandises pour quelques milliers d’euros. Elles vont travailler dans des familles loin de leur pays d’origine.
Un réseau actif sur les applications
Sur l’écran d’un smartphone, il est possible de voir ce catalogue glaçant. Les photos défilent… par milliers. Des portraits de femmes, la plupart sont originaires des pays d’Afrique comme la Guinée, le Ghana, l’Éthiopie, le Soudan. Aussi des pays d’Asie tels que les Philippines, le Népal ou encore l’Inde.
Ces femmes sont répertoriées par ethnies, avec un prix affiché. Le constat : elles sont disponibles à l’achat, pour seulement quelques milliers d’euros.
Le commerce illégal de travailleuses domestiques fonctionne comme un réseau de trafic d’êtres humains. Ce commerce prospère sur les applications mobiles. Sur Instagram notamment, il y a des publications boostées par certains hashtags. Les négociations sont possibles, en discutant avec le vendeur par message privé.
Disponibles sur Google Play et l’App Store d’Apple, les applications comme 4Sale ou Haraj proposent ces offres.
Marché aux esclaves
Neuf foyers koweïtiens sur dix ont une employée de maison. Elles viennent majoritairement de certaines régions les plus pauvres du monde, vers le Golfe, dans le but de gagner suffisamment d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille.
Se faisant passer pour un couple emménageant au Koweït, des journalistes de BBC News Arabic se sont infiltrés au sein de ce trafic. Ils se sont entretenus avec 57 utilisateurs de ces applications et ont rendu visite à une douzaine d’entre eux. Les vendeurs tentent de vendre leur employée de maison via l’application 4Sale.
Tous les vendeurs préconisent de confisquer le passeport des femmes, de les confiner dans la maison, de leur refuser des congés et de leur donner que peu voire pas d’accès au téléphone.
L’application 4Sale permettait de filtrer les femmes par race, avec des prix variant selon les catégories. L’une des annonces dit : « Ouvrière africaine, propre et souriante. » Une autre annonce vend une « népalaise qui ose demander un jour de congé. »
Les vendeurs ont tenu de nombreux propos racistes devant les infiltrés de la BBC. « Les indiennes sont les plus sales » affirme l’un des vendeurs, en décrivant une femme qui fait l’objet d’une publicité sur l’application.
Violation des droits de l’Homme
Les vendeurs agissent comme si ces femmes étaient leur propriété. Ils leur refusent les droits humains fondamentaux. Ils ne leur accordent même pas « un jour ou une minute ou une seconde » de congé.
Un des vendeurs rencontré par les journalistes infiltrés a tenu ces propos : « Crois-moi, elle est très gentille, elle rit et a un visage souriant. Même si vous la gardez éveillée jusqu’à cinq heures du matin, elle ne se plaindra pas. »
Ce même homme a expliqué comment les travailleuses sont utilisées comme marchandise. « Vous trouvez quelqu’un qui achètera une bonne pour 1800€ et la revendra pour 3000 euros. »
L’homme a insisté pour donner des conseils au couple factice. « Le passeport, ne lui donne pas. Vous êtes son propriétaire. Pourquoi lui donner son passeport? »
Dans une autre maison, l’équipe de la BBC s’est vu proposer une jeune fille de 16 ans. Pour protéger l’identité de la jeune fille, elle est nommée Fatou.
Une jeune femme, ancienne esclave de ce système, témoigne
Fatou a été victime de cette traite depuis la Guinée. Elle a été employée comme travailleuse domestique au Koweït pendant neuf mois. Les lois au Koweït stipulent pourtant que les travailleurs domestiques doivent avoir plus de 21 ans.
La jeune femme a finalement été renvoyé dans son pays d’origine après avoir travailler dans trois familles différentes. Fatou raconte son calvaire et se souvient : « Ils avaient l’habitude de me crier dessus comme un animal. Cela me blessait, me rendait triste mais je ne pouvais rien faire. »
Pour ses neuf mois de travail, elle n’aura été rémunérée que pour deux mois. Elle se satisfait de sa condition maintenant : « Ma vie est meilleure maintenant. J’ai l’impression d’être revenue de l’esclavage. »
Des réglementations contournées grâce aux applications
Grâce à un système dit de la « kafala » , qui est un système de parrainage, les travailleurs domestiques peuvent venir travailler légalement et sont enregistrés officiellement auprès du gouvernement.
Ce système permet aux locaux d’acheter les services, légalement, de ces travailleuses domestiques immigrées en se portant garants pour elles. Les applications permettent alors de contourner les réglementations gouvernementales et rendent les femmes vulnérables aux abus et à l’exploitation.
« Ce qu’ils font, c’est de promouvoir un marché aux esclaves en ligne » met en garde Urmila Bhoola, rapporteuse spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de l’esclavage. Elle ajoute que « Si Google, Apple, Facebook ou toute autre société héberge des applications comme celles-ci, elles doivent être tenues pour responsables. »
Haraj est également l’une des applications concernées. Celle-ci a permis la vente de centaines de femmes en Arabie Saoudite. Il y avait aussi des centaines d’annonces sur l’application Instagram.
Hashtag enlevé sur les réseaux
Aucune mesure n’a été prise à l’encontre des plateformes tandis que la gouvernement koweïtien se dit « en guerre contre ce genre de comportement. »
Depuis que les journalistes de BBC ont contacté les sociétés de technologies propriétaires de ces plateformes, 4Sale a retiré la section des travailleurs domestiques sur sa plateforme.
Facebook, détenteur d’Instagram, a déclaré avoir interdit le hashtag arabe se traduisant par #maidsfortransfer (« servantes pour transfert » en français). Le porte-parole de Facebook a déclaré : « Nous continuerons à travailler avec les forces de l’ordres, les organisations d’experts et l’industrie pour prévenir ce comportement sur nos plateformes. »
Google s’est dit « profondément troublé par ces allégations. » Le porte-parole de la firme américaine a annoncé : « Nous avons demandé à la BBC de partager des détails supplémentaires afin de pouvoir mener une enquête plus approfondie. »
Des mesures plus strictes vont être mises en place : « Nous veillons à ce que les développeurs d’applications mettent en place les mesures de protection nécessaires pour empêcher les individus de mener cette activité sur leurs marchés en ligne. »
Quant à Apple, l’entreprise a affirmé qu’il était « strictement interdit » de faire la promotion de la traite d’êtres humains et de l’exploitation d’enfants dans les applications mises à disposition sur son marché.
Ainsi, Apple travaille également sur des mesures de protection et de sécurité plus accrues et si besoin en est, « nous supprimerons l’application de l’App Store. »
Cependant, les entreprises poursuivent la distribution des applications 4Sale et Haraj, justifiant cela car leur objectif principal est de vendre des biens et des services légitimes.
Malgré que 4Sale a supprimé son contenu, des centaines de travailleuses domestiques sont encore victimes de ce trafic. Nombreuses étaient encore échangées sur Haraj, Instagram et d’autres applications.