Ce requin rarissime, qu’on croyait « perdu » depuis 50 ans, a été redécouvert dans le Pacifique
Dans les eaux chaudes de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, un fantôme des profondeurs vient de réapparaître. Considérée comme une espèce perdue par les biologistes, cette créature au profil presque irréel intrigue depuis des décennies pour une raison simple : personne ne l’avait revue depuis un demi-siècle.
Sa silhouette est pourtant difficile à oublier, avec une grande nageoire dorsale qui se dresse comme une voile et lui a valu un surnom évocateur. Sa redécouverte, confirmée sur la côte nord du pays, relance l’espoir mais aussi les craintes pour sa survie à long terme.
Un mystère tapi dans les eaux de Madang
Tout commence sur le littoral tropical de la province de Madang, face à la baie d’Astrolabe. Dans cette zone, des pêcheurs artisanaux croisent régulièrement des espèces de requins et de raies peu étudiées. Depuis des années, un animal à la grande dorsale en « voile » nourrit les rumeurs. Les scientifiques, eux, ne disposent que d’un unique spécimen ancien, ce qui alimente l’énigme. Au fil du temps, l’animal glisse du statut de rare à celui d’« introuvable », jusqu’à devenir un symbole de ces espèces que l’on pense disparues sans pouvoir le prouver.
Cinquante ans de silence… avant un retour inattendu
L’histoire scientifique de ce requin commence officiellement au début des années 1970. Décrit en 1973 à partir d’un spécimen capturé trois ans plus tôt dans le nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, il s’agissait d’une femelle qui portait deux embryons. Puis, plus rien. Même une étude approfondie menée dans les années 2010 sur les requins et les raies locales n’avait trouvé aucune trace. L’animal bascule alors dans la catégorie des espèces perdues : ni officiellement éteint, ni réellement présent, juste absent de tout relevé.
Des preuves ramenées par la pêche artisanale
Le silence s’est rompu en 2020. Dans le cadre d’une enquête de terrain menée auprès des communautés de pêcheurs par des chercheurs du World Wildlife Fund (WWF), cinq individus ont été signalés, tous morts et tous femelles. La découverte ne laisse aucun doute : l’espèce est toujours là, mais elle ne se montre pas facilement. Deux ans plus tard, en septembre 2022, un pêcheur apporte le premier témoignage d’un mâle, lui aussi décédé. L’information circule jusque dans la presse spécialisée et sur les réseaux : fin août 2025, un message relayé par « Fish in the News » met en avant cette redécouverte et renvoie à la publication scientifique dédiée.
Des profondeurs ciblées et des tailles très modestes
Les femelles ont été capturées près de l’embouchure de la rivière Gogol, autour de 80 mètres de profondeur. Leurs dimensions soulignent le statut de petit requin côtier : deux mesurent 61 et 60 cm, deux autres 75,5 et 76,1 cm, tandis qu’une adolescente atteint 59 cm. Le mâle adulte découvert ensuite s’avère un peu plus grand, 73 cm, mais vit plus profond : il a été capturé vers 200 mètres, près du village d’Umin. Ces chiffres, rares et précieux, constituent la première base biologique solide depuis la description initiale.
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Un habitat minuscule ? Le risque du micro-endémisme
Les témoignages concordent : des pêcheurs du village de Bilbil et de la lagune de Madang rapportent des captures occasionnelles lors de sorties dans la baie d’Astrolabe. À ce stade, tout indique une répartition très locale. Si ce requin est réellement micro-endémique, sa population pourrait n’occuper qu’un morceau de littoral et quelques profondeurs spécifiques. Un territoire restreint signifie moins de marge face aux aléas : un changement de pratique de pêche, une pollution ponctuelle, une pression accrue sur les proies peuvent suffire à provoquer un déclin rapide.
Une pression humaine qui s’intensifie
Les auteurs de l’étude alertent sur un point précis : la progression du commerce de la vessie natatoire, très prisée en Asie en gastronomie et en médecine traditionnelle. Cette demande mondiale stimule les captures de poissons côtiers et peut multiplier les prises accidentelles. Un requin discret, rare et cantonné à une zone réduite devient alors particulièrement vulnérable.
Sa présence dans les filets pourrait passer inaperçue au milieu d’autres espèces ciblées, comme l’ont montré les spécimens découverts sans vie. À l’échelle locale, l’intensification même modérée de la pêche peut suffire à créer un effet d’étau.
Suivre, compter, protéger : la stratégie de précaution
Face à ce constat, les équipes impliquées travaillent déjà à mettre en place des dispositifs de suivi. L’objectif est simple à formuler, complexe à réaliser : éviter un nouveau trou noir de plusieurs décennies. Il faut documenter les zones de capture, mieux connaître les profondeurs utilisées, repérer d’éventuelles saisonnalités et tester des mesures de réduction des prises accidentelles.
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Une gestion locale, pragmatique et adaptée aux pêcheries artisanales pourrait faire la différence : horaires de sortie, types d’hameçons, engins autorisés, information des communautés… Dans une approche de précaution, chaque ajustement permet de gagner du temps sur le déclin.
Une lignée évolutive à part
Ce requin ne pèse pas seulement par sa rareté. Il représente une lignée évolutive unique parmi les Triakidae, ces petits requins de fond souvent discrets. Les chercheurs soulignent que l’animal pourrait devenir une icône de la biodiversité marine nationale. Dans des pays où les identités régionales sont étroitement liées à la mer. Une espèce pareillement singulière peut incarner la valeur d’un patrimoine naturel irremplaçable. C’est aussi un argument puissant pour mobiliser les communautés de Madang : protéger ce voisin des profondeurs, c’est protéger une part de leur propre milieu de vie.
Redécouverte ne veut pas dire sauvetage
Le cas de cette espèce perdue rappelle une réalité souvent méconnue : retrouver un animal introuvable n’équivaut pas à le sauver. Les femelles et le mâle qui ont confirmé l’existence actuelle ont été découverts après leur mort. Rien ne dit pour l’instant que la population soit stable, ni même qu’elle dépasse un faible noyau. L’histoire est donc fragile, encore préliminaire, et le besoin de données s’impose. La publication dans le Journal of Fish Biology donne un cadre scientifique, mais la conservation se jouera surtout au contact des pêcheurs, là où l’espèce croise le monde des humains.
Pourquoi cette histoire nous concerne
Cette redécouverte parle à tous ceux qui suivent l’actualité de la nature. Elle montre à quel point notre connaissance des océans reste lacunaire, y compris près des côtes. Elle rappelle que les pêcheries artisanales, souvent présentées comme de « petites » activités. N’en sont pas moins décisives pour des espèces rares. Rappellons enfin qu’une simple nageoire dorsale au profil inoubliable peut suffire à faire entrer un requin dans l’imaginaire collectif. Et donc à susciter une mobilisation. Ce capital d’attention sera précieux si des mesures de surveillance et de gestion doivent être négociées.
Et le nom de ce revenant ?
L’identité de ce requin longtemps considéré comme « perdu » est désormais confirmée. Il s’agit du Gogolia filewoodi, surnommé en anglais « sailback houndshark ». L’espèce a été décrite en 1973 à partir d’un individu capturé en 1970 dans le nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’était une femelle gravide portant deux embryons. Après des décennies sans observation, cinq femelles ont été signalées mortes en 2020 lors d’une enquête menée par le WWF auprès des pêcheurs de Madang. Puis un mâle adulte en septembre 2022.
Les femelles provenaient de l’embouchure de la rivière Gogol à environ 80 mètres de profondeur et mesuraient 60, 61, 75,5, 76,1 et 59 cm. Le mâle, 73 cm, a été capturé à 200 mètres près d’Umin. Des rapports anecdotiques venus de Bilbil et de la lagune de Madang suggèrent des captures occasionnelles dans la baie d’Astrolabe. Si l’espèce se révèle micro-endémique, la pression de pêche, notamment liée à la vessie natatoire, pourrait la menacer, d’où la mise en place d’options de surveillance. Et de gestion dans une approche de précaution.